1945.01.05.De Worms et Cie.(Au juge Georges Thirion).Note

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Messieurs Hypolite Worms et Gabriel Le Roy Ladurie ont été arrêtés le 7 septembre 1944 par l'autorité administrative. Inculpés quelques jours plus tard d'atteinte à la sûreté extérieure de l'État, ils ont vu tour à tour formuler à leur encontre une série de griefs dont l'importance est allée chaque fois décroissant, cependant que l'information établissait leur inanité absolue d'une manière constante.
Ces griefs successifs peuvent être placés sous trois groupes :

I - Sous-marins et relations avec les banques allemandes
Ce premier groupe de griefs a été formulé à la suite d'une perquisition à la Maison Worms qui semblait avoir fait apparaître que celle-ci avait :
1/ livré au moins un sous-marin à l'Allemagne,
2/ entretenu des relations suivies avec des banques allemandes.
Sous-marins
Les inculpés ont dès l'origine indiqué que les Chantiers du Trait (département de constructions navales de la Maison Worms) n'avaient jamais :
a) livré quoi que ce soit spontanément à l'Allemagne mais que, chargés de certaines commandes par l'amirauté française, ils s'étaient vus dans l'obligation, sur l'ordre formel de cette dernière, maître de l'œuvre, de poursuivre pour compte allemand l'achèvement de certaines de ces constructions, d'ailleurs préalablement déclarées prises de guerre ;
b) cessé d'opposer aux ordres de l'amirauté française et des autorités d'occupation une politique systématique d'obstruction, ayant ainsi réduit au minimum des livraisons dont ils ne pouvaient supporter la responsabilité.
L'enquête alors menée par le magistrat instructeur a établi, après audition des représentants de l'amirauté française, que les dires des inculpés étaient parfaitement exacts. En outre, une note déposée par l'expert Bernard en date du 13 octobre 1944, a fait ressortir de manière incontestable et d'ailleurs incontestée que les livraisons effectuées aux autorités allemandes par les Chantiers du Trait :
a) n'avaient été faites que sur l'ordre des autorités françaises et par ces dernières elles-mêmes ;
b) portant sur du matériel appartenant à l'État français, n'avaient touché que des prises de guerre,
c) grâce à la politique d'obstruction de la Maison Worms, avaient subi des retards considérables :
- le sous-marin, de juin 1940 à novembre 1942,
- le ravitailleur "Charente", de 1940 à septembre 1943.
L'expert a, en outre, souligné que la politique des Chantiers du Trait avait abouti à maintenir sur cales d'autres bâtiments en construction (1 sous-marin, 3 chalands, et 3 petits cargos) en vue d'en empêcher la livraison matérielle aux armées allemandes avant leur départ.
Banques allemandes
Les inculpés ont également signalé dès l'origine que la Maison Worms avait, dès le 25 octobre 1940, été pourvue d'un commissaire-gérant allemand nanti des pouvoirs les plus étendus. Ils ont souligné que le banque Worms aujourd'hui taxée de collaborationnisme, avait été la seule banque française pourvue d'un semblable gérant et que, pour éviter une prise de participation ou la destruction de leur Maison -considérée comme suspecte par les Allemands en raison de sa position raciale et de ses attaches anglaises, - ils avaient dû accepter d'ouvrir des comptes à la Commerzbank, dont ils étaient par cela même devenus les correspondants, et à la Deutsche Bank. Ces comptes n'ont du reste révélé que des opérations bancaires courantes qui n'ont intéressé en fait que les clients de ces deux banques.
Sur ce point encore, une expertise comptable de Monsieur Bernard, en date du 7 novembre 1944, a confirmé les dires des inculpés et constaté en ses conclusions que la Maison Worms n'a eu aucune initiative à cet égard.
Au surplus, il a été établi au cours de l'information qu'il appert des renseignements recueillis auprès de la Banque de France que le volume des opérations traitées avec les banques allemandes par la Maison Worms ne représente qu'1.21% de l'ensemble des opérations du même ordre traitées par les banques parisiennes.
II a été établi en outre que les dirigeants de la maison Worms ne se sont pas contentés de refuser à l'ennemi toute participation directe mais se sont encore constamment opposés avec succès à toute cession de quelque participation que ce soit dans une quelconque des affaires où ils sont intéressés.
Les premiers griefs, les plus graves en l'apparence, formulés à l'encontre de la Banque Worms et qui seuls servaient de soutien sinon de prétexte à l'inculpation et à l'arrestation, se sont donc effondrés après examen.
Les inculpés, soucieux de dissiper une légende qui a pour origine la presse collaborationniste de l'occupation, ont en outre tenu à s'expliquer devant le magistrat instructeur sur la prétendue activité politique qui leur a été reprochée pendant quatre ans par Monsieur Marcel Déat et consorts et qui, par une fortune singulière, s'est retrouvée sous la plume de certains journalistes de la France libérée, les attaches anglaises familiales de Monsieur Hypolite Worms et les accords, dits "accords Worms", conclus par lui à Londres le 7 juillet 1940, et dont l'importance pour les Alliés est bien connue, d'une part, l'action personnelle de Monsieur Le Roy Ladurie pendant l'occupation en faveur de certaines personnalités de la Résistance dont les témoignages ont été recueillis (Aimé Lepercq, colonel Navarre, François Michel, Robert de Voguë, Bernard de Boishébert, Maximilien Vox), d'autre part, suffisaient à réfuter ces accusations calomnieuses, sur lesquelles d'ailleurs les inculpés ont eux-mêmes donné au magistrat instructeur tous apaisements nécessaires.

II - Molybdène
Le dossier étant alors communiqué au Parquet aux fins de liberté provisoire par le magistrat instructeur, un nouveau grief est apparu à l'occasion de la société Le Molybdène (Maroc) qui, à en croire les renseignements parvenus au Parquet, devait être considérée comme ayant fourni aux Allemands des prestations importantes sous l'inspiration et avec le concours de la Maison Worms.
Le témoin prétendument à charge indiqué par le Parquet, Monsieur Wiel a déclaré tout ignorer de l'activité générale de la Maison Worms, cependant que l'enquête menée sur Le Molybdène a permis de constater que :
1/ la Maison Worms n'en avait le contrôle ni direct, ni indirect,
2/ les livraisons de minerai reprochées au Molybdène ne portaient que sur 25 tonnes et avaient été le fait, non point de la société, mais des gouvernements français et chérifiens.
Quant au rôle de la Maison Worms, l'enquête a établi qu'elle avait :
a) de toutes ses forces appuyé la résistance du Molybdène aux pressions ennemies,
b) fourni les moyens financiers d"abandonner l'exploitation d'un métal particulièrement précieux à l'armement allemand pour se consacrer à urne production qui ne pouvait plus intéresser que l'économie agricole nord-africaine.
Le second groupe de griefs s'est donc à son tour effondré comme le premier.

III - Participation
Une demande de mise en liberté provisoire a alors été formulée le 18 novembre 1944 au profit des inculpés qui ont eux-mêmes pris l'initiative de la retirer, dès qu'ils ont eu connaissance d'une note de la Commission de justice du CNR où ils étaient représentés comme ayant fourni des prestations à l'ennemi, non point directement mais par le truchement des sociétés où la Maison Worms est intéressée, notamment Japy et Puzenat.
Messieurs Worms et Le Roy Ladurie ayant aussitôt fourni toutes précisions sur l'activité de ces sociétés, l'enquête a établi, là encore, l'inanité des accusations formulées.
Il suffit d'ailleurs de se reporter sur ce dernier point au rapport déposé par l'expert Bernard à la fin décembre 1944 pour constater :
a) qu'aucune de ces sociétés n'a sollicité de commandes de l'ennemi,
b) que ces sociétés se sont sans cesse dérobées à l'exécution des commandes qui ont pu leur être imposées par les autorités d'occupation et qui, d'ailleurs, ne portant pas sur du matériel de guerre, n'ont eu pour objet que des fabrications normales d'avant-guerre (quincaillerie, machines à écrire, râteaux, trieuses de pommes de terre),
c) que la Maison Worms n'a cessé de leur prêter son appui moral et financier pour les aider dans cette politique d'obstruction et, ce malgré l'intrusion constante des commissaires-gérants allemands de la Maison Worms.
II paraît inutile de donner une importance plus grande qu'elles ne méritent aux élucubrations de Monsieur Latourette, journaliste financier, et aux calomnies de Monsieur van Cabèke.
Le premier n'a pas paru digne au magistrat instructeur d'être entendu sous la foi du serment. Quant au second, interrogé à l'occasion d'une affaire de commerce avec l'ennemi, il a dû reconnaître que la Société cettoise de produits chimiques dont il se plaint que la Maison Worms l'ait évincé dans le dessein de collaborer plus étroitement avec l'Allemagne, n'a rien fourni à celle-ci sous sa nouvelle direction. Il ne reste donc de sa déclaration que la manifestation de rancune d'un homme qui a été révoqué par la Maison Worms en raison de ses détournements.
Le troisième et dernier groupe de griefs formulés à l'encontre des inculpés s'est donc effondré comme les deux premiers.
II apparaît donc aujourd'hui que la mise en liberté provisoire de Messieurs Worms et Le Roy Ladurie ne constituera pas pour eux une mesure de bienveillance mais simplement une mesure de justice.

5/1/45


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