1950.01.00.De Hypolite Worms.A Worms et Cie Port-Saïd.Discours

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Worms & Cie Port-Saïd
E. C. Canal 329

Messieurs,

Je suis très reconnaissant à Monsieur Acfield d'avoir eu la bonne pensée d'attendre, de retarder de quelques jours la petite cérémonie qu'il a l'habitude de tenir le 1er janvier, ceci pour me permettre d'être avec vous.
Je suis très heureux, très ému de me trouver parmi vous, et je vais commencer par vous faire des excuses et vous donner quelques explications.
Excuses, c'est d'avoir mis aussi longtemps pour venir vous voir.
Il y a, en effet, exactement 39 ans que je ne suis pas venu en Égypte, 39 ans que j'ai vécu ici, dans cette Maison, pendant un an, alors que je faisais mon apprentissage de chef de Maison.
Mais j'ai des raisons, des explications à vous donner ; c'est que, à la suite de circonstances, à la suite de la guerre de 1914/1918, de nombreux employés de la Maison sont morts et je suis resté tout seul pour diriger la Maison pendant la guerre, durant la guerre, pour la reconstruire.
J'étais tout seul pendant 10 ans, 12 ans, et ne pouvais pas me permettre de m'absenter pendant un mois pour venir en Égypte. Et puis, pendant ce temps-là, la Maison Worms s'est développée, a eu de nouvelles initiatives, de nouvelles activités, a fait de nouveaux métiers.
J'ai eu de nouveaux associés, nous avons créé une banque en 1928, ce qui nous a donné beaucoup de soucis, beaucoup de travail, et alors que je croyais avoir plus de liberté, j'ai travaillé plus que jamais. Et on est arrivé en 1938, et depuis ce moment-là, il y a les difficultés et les soucis de la dernière guerre.
Voilà les explications que je vous devais. Mais en réalité cela n'avait eucune importance pour la Maison Égypte, car elle a été de tout temps géré par des hommes d'élite, de tels hommes, de tels collaborateurs que, quelles que soient les difficultés, quels que soient les soucis, quel que soit le travail que ses directeurs ont eu à accomplir, au fond, tout marchait très bien.
Le siège social de la Maison, que je représente, au fond, n'avait pas de soucis, il surveillait tout ce qui se passait, savait tout ce qui se faisait, et tout allait très bien, et je dois à cet égard le rappeler, car j'en ai bien connu, tous les vieux directeurs de la Maison, en commençant par le père Frédéric Guy, dont j'étais l'élève ici il y a 39 ans, en continuant avec Charlie MacDonald, avec Howe, avec Roussel, avec Grédy, et maintenant, depuis 10 ans, avec notre ami Acfield.
Messieurs,
Puisque je suis avec vous aujourd'hui, et cela n'arrive pas souvent, je pense que je pourrais profiter de cette occasion pour vous parler un peu de la Maison que je dirige depuis 35 ans et dans laquelle vous travaillez tous avec beaucoup de fidélité.
II y a quelques mois la Maison Worms a célébré son centenaire. A cette occasion-là, j'ai fait un certain nombre de discours. Je ne sais pas s'ils ont été imprimés, je ne sais pas s'ils vous sont arrivés, non, vous allez les recevoir, ils seront distribués, de même qu'on vous distribuera une plaquette que j'ai fait faire, laquelle plaquette raconte les origines de la Maison Worms, ses activités passées, ce qu'elle a fait jusqu'à une période récente, avec cette différence que cette plaquette parle du passé, parce que j'estime que lorsqu'on parle de quelque chose, on n'a pas le droit de parler de soi.
L'histoire s'arrête presque en 1915, signalant simplement en quelques lignes ce qu'est la Maison actuelle. Mais du moment qu'il ne s'agit plus de plaquette, il serait bien aujourd'hui que je vous parle de la Maison Worms telle qu'elle existe actuellement, comment elle est constituée, quelle est son activité, ce qu'elle fait en dehors de ce que vous savez, car vous vous ne savez qu'une petite partie de ce qu'elle fait, celle qui intéresse particulièrement l'Égypte.
En même temps, je vous indiquerai comment la Maison Worms a évolué, car elle a évolué considérablement au cours des 35 dernières années, puisque c'était une Maison qui ne vendait que du charbon et ne s'occupait que de transports maritimes. Elle fait maintenant bien autre chose. Eh bien, la Maison Worms était une vieille affaire de famille, qui est restée une vieille affaire de famille depuis qu'elle existe et qui est encore une vieille affaire de famille, mais qui exploite ou gère une série d'activités que je diviserai en quatre branches principales et que je citerai dans l'ordre chronologique de leur création :
D'abord la branche charbon-combustibles,
2°) la branche maritime,
qui étaient les deux activités d'origine jusqu'en 1915,
3°) la branche constructions navales, qui date de 1917,
4°) la branche bancaire, qui date de 1928.
La Maison Worms est donc actuellement : négociant en combustibles, armateur, constructeur de navires et banquier.
Elle a quatre départements qui sont tous les quatre dirigés par un directeur général.
II y a maintenant une cinquième direction, qui est celle du département étranger, qui est une liaison entre le département charbon et le département maritime.
Alors qu'elle est cette évolution et comment ces différents départements ont changé de face ?
Je prends le département charbon.
A l'origine, la Maison était le plus grand importateur de charbon d'Angleterre, le plus grand exportateur de charbon de France, et, en Égypte, le plus gros fournisseur de charbon aux navires.
Eh bien, ce département-là a diminué petit à petit au point, je dirai, presque de disparaître, puisque il n'y a plus de charbon, ou alors quand il y a du charbon pour l'intérieur, ce charbon est distribué par un organisme gouvernemental et acheté par ordre d'un organisme gouvernemental, et nous ne sommes plus des intermédiaires, ce qui ne satisfait pas à nos aspirations, puisque nous étions négociants et que nous voulions rester négociants.
Donc, en continuant son activité charbonnière, stockage, transport, manutention, distribution, la Maison Worms a voulu maintenir son activité en combustible et a créé le département forestier. Ceci est tout récent. Cela date de la guerre de 1939/40-45, parce que nous savions que le charbon allait disparaître, qu'il fallait le remplacer par autre chose et que nous voulions intéresser l'activité de notre personnel.
Nous sommes donc maintenant non seulement charbonniers mais forestiers. Nous exploitons des forêts en France, vendons du bois en France, non seulement en France, mais nous sommes devenus exportateurs de bois. Nous en exportons en Angleterre, ce qui est tout à fait nouveau. Avant nous importions du charbon d'Angleterre, maintenant nous y exportons du bois.
J'ai le plaisir de vous dire que nous allons bientôt exporter du bois en Égypte, car la Maison Worms vient d'obtenir un contrat pour la fourniture de 50.000 traverses pour les chemins de fer du gouvernement égyptien.
Accessoirement, le département combustibles a créé toute une série de dépôts de mazout et la Maison Worms vend également du mazout là où elle ne peut plus vendre du charbon. Voilà pour le département combustibles.
Le département maritime a lui aussi beaucoup évolué. La Maison n'était précédemment qu'armateur ou caboteur. Elle exploitait les lignes de cabotage entre la France et la Belgique, la France et la Hollande, l'Angleterre, l'Allemagne, la Baltique, les Pays baltes. Récemment elle s'est étendue à l'Afrique du Nord. Mais surtout depuis 1932 la Maison est devenue armateurs au long cours. Elle a réorganisé le Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire, dont elle possède le contrôle et dont vous voyez les bateaux passer constamment par le Canal, le dernier celui qui m'a amené ici, le plus neuf, le plus beau.
La Maison Worms a également des intérêts considérables dans les navires pétroliers que vous voyez constamment passer par le canal de Suez, qui sont maintenant parmi les meilleurs clients de la Compagnie du Canal.
Tous ces pétroliers qui viennent du Golfe persique sous pavillon français, qui portent le nom soit de provinces françaises, comme le "Bourgogne", le "Lorraine", le "Champagne", et le "Roussillon", soit des dates de l'époque napoléonienne, comme le "Floréal", le "Germinal", etc., tous ces bateaux-là sont contrôlés par la Maison Worms.
Voilà pour l'évolution de la partie maritime de la Maison Worms, et elle ne fera que s'étendre, puisque la flotte de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire, qui avait perdu plus de 50% de ses unités pendant la guerre, est en pleine reconstruction et que son service sur Madagascar va dorénavant être servi par de magnifiques bateaux de 9 mille tonnes, également transports de passagers, du genre de la "Ville de Tamatave", que vous avez vue.
J'ai oublié de signaler que le premier département, le département combustibles est dirigé par [...], un des vieux collaborateurs de notre Maison, le département maritime par [...] dont le père était déjà directeur de la Maison il y a plus de 40 ans, et entre les deux se trouve le département étranger, département de liaison, qui est celui dirigé par votre ancien directeur général, Monsieur Grédy, qui s'occupe de toutes les affaires étrangères.
Le troisième département c'est les constructions navales.
La Maison Worms possède des ateliers, des chantiers sur la Seine maritime qui sont parmi les plus beaux chantiers français, qui ont été complètement détruits pendant la guerre et qui sont maintenant reconstruits.
La "Ville de Tamatave" en est le premier enfant sorti depuis la guerre.
Les chantiers de la Seine maritime construisent plus particulièrement des pétroliers de 15 mille tonnes et de 9 mille tonnes.
Le quatrième département de la Maison, c'est la banque.
Vous avez peut-être entendu parler ou vous avez lu certainement des allusions dans les journaux à ce qu'on appelle la banque Worms.
Eh bien, voici quelle a été l'origine de la banque Worms.
En réalité il n'y a pas de "Banque Worms", il n'y a que le département bancaire de la Maison Worms & Cie, qui est un département de la Maison, comme est le département maritime, le département combustibles ou le département constructions navales.
En 1928, je vous ai raconté d'ailleurs qu'à partir de 1928, la Maison Worms avait plus ou moins reconstruit ou récupéré ses pertes de la guerre de 1918. J'ai crée le département bancaire de la Maison Worms.
En effet, au cours de ma carrière qui en 1928 était déjà longue, je m'étais aperçu qu'il manquait en France un élément bancaire qui avait fait peut-être la fortune de l'Angleterre au 19ème siècle, c'est ce que les Anglais appellent "Merchant Bankers". Or, il n'y avait pas en France de "Merchant Bankers". Il y avait des établissements bancaires, des banques privées qui s'occupaient de gestion, de portefeuille, mais il n'y avait pas de banques de commerce du type de ce que j'appelle "Merchant Banks".
J'ai pensé qu'il y avait une place à prendre, d'autant plus que la Maison Worms était à ce moment-là déjà connue depuis 80 ans de tous les industriels, avait une réputation honorable et avait tous les éléments entre les mains pour, peut-être, réussir dans cette nouvelle branche de son activité.
A ce moment est entré à la Maison un nouvel associé, Monsieur Jacques Barnaud, que vous avez vu récemment, qui, étant inspecteur des finances, m'a apporté l'expérience qui me manquait à moi personnellement en matière bancaire.
Nous avons donc décidé de créer le Service bancaire et ce service n'était destiné qu'à être un élément, je ne dirai pas accessoire, mais un élément nouveau, comme les autres, de l'activité de la Maison.
Ce département est devenu, grâce aux hommes qui l'ont géré, une des banques privées françaises les plus actives, peut-être, une des plus grandes banques françaises d'affaires ou banques de commerce exactement, rendant les services que j'avais voulu essayer de créer à l'origine, c'est-à-dire une Maison de "Merchant Banking".
Voilà la quatrième activité.
Je vous ai dit comment la Maison Worms avait donc évolué. En fait, elle a évolué par le fait des circonstances, elle a évolué parce qu'elle a dû être reconstruite deux fois, c'est-à-dire d'abord après la catastrophe de 1914-18, car ce fut tout de même une catastrophe, malgré la victoire, et puis ensuite, après la deuxième catastrophe qui était encore plus grande. Mais chaque fois qu'il faut reconstruire cela implique automatiquement qu'il faut améliorer et développer, c'est ce que nous avons fait deux fois et c'est pourquoi la Maison Worms, maison de charbons et maison maritime, est devenue maintenant une maison aux activités multiples, car le fait d'être banque d'affaires implique son intérêt dans les affaires commerciales et industrielles qu'elle a protégées, qu'elle a, grâce à son activité, ses moyens, permis de développer, et elle a maintenant toute une série d'activités nouvelles. Je vous raconte tout cela parce que, après vous avoir décrit la reconstruction de la Maison Worms et son développement au cours des 35 dernières années au cours desquelles j'ai eu l'honneur de la présider, de la diriger, j'en viens maintenant à vous, c'est-à-dire à la Maison de Port-Saïd, à nos maisons égyptiennes, qui ont été depuis l'origine un des plus beaux fleurons de notre couronne. En vous parlant de Port-Saïd et de l'Égypte, je suis obligé en même temps, de vous parler de l'évolution, je ne dirai pas de la reconstruction puisque, heureusement, il n'y a pas eu de catastrophe ici, mais de l'évolution et du développement de nos services en Égypte. Eh bien ! la Maison Worms, contrairement à ce qu'on croit, n'a pas commencé en Égypte en 1869, au moment de l'ouverture du canal de Suez. La Maison Worms a commencé en Égypte en 1851, c'est-à-dire presque à l'origine de notre activité propre, qui date de 1848. A l'occasion du travail que j'ai fait préparer, de la brochure qui parlera de la Maison Worms dans le passé, j'ai eu l'occasion de faire des recherches dans les archives de la Maison, et j'ai trouvé des choses très amusantes, très drôles. Et alors j'ai pris quelques notes pour vous raconter un peu quel a été l'historique de la Maison Worms en Égypte, que beaucoup d'entre vous connaissent en partie, mais que peut-être d'autres ne connaissent pas.
Je vous al dit que c'est en 1851 que la Maison Worms a commencé à travailler en Égypte.
En effet, l'origine a été un contrat conclu par mon grand-père, dont je porte le nom, le 18 août 1851, avec les Messageries impériales, ancien nom des Messageries maritimes de maintenant, lorsque les Messageries impériales ont créé leurs services maritimes postaux entre Marseille et les pays du Levant.
A cette occasion, mon grand-père a garanti aux Messageries impériales la fourniture du charbon nécessaire à ses navires dans six ports méditerranéens et plus particulièrement à Alexandrie car à ce moment-là Port-Saïd n'existait pas.
II s'agissait de 6.000 tonnes - ce n'était pas mal à l'époque - qui devaient être délivrées entre le 1er octobre 1851 et le 31 décembre 1852, et pour exécuter ce contrat, la Maison de mon grand-père avait fait appel à une Maison de Marseille établie à Alexandrie, la Maison Pastré Frères.
Dans les archives on a trouvé la première charte-partie. II s'agissait d'un navire de 2.200 tonnes, qui s'appelait le "Bremen Burgermeister", au taux de fret de £ 11 la tonne.
Ce n'était pas en 1869, mais en 1851, à Alexandrie.
A ce moment-là, mon grand-père, qui était à Alexandrie, s'est dit : « c'est un beau pays, un pays très riche », et il a commencé à se demander comment il pourrait développer son activité en Égypte.
II a pensé au coton. Il a même étudié la création d'une ligne de navigation entre les ports français et Alexandrie. Je ne sais pas pourquoi ces beaux projets n'ont eu de suite. Probablement, plutôt en réalité, parce que pendant ce temps-là, on commençait déjà à penser au canal de Suez.
En effet, bien avant l'ouverture du canal de Suez, en 1861, les Messageries impériales, toujours les mêmes qui avaient créé Ies Services maritimes sur Alexandrie, ont voulu copier la Malle des Indes, créer leur petit service sur les mers de Chine, et il leur fallait du charbon et c'était à mon grand-père qu'on s'était adressé pour cela.
Le 5 décembre 1861, ayant obtenu le contrat des Messageries impériales pour les services de Suez, il écrivait à notre Maison de Cardiff, une lettre dont je vous lis quelques extraits:
« Vous devez attacher la plus grande importance à cette belle affaire, qui est jalousée par de grands commerçants anglais et des maisons d'une importance considérable ont fait tout leur possible pour me l'enlever. » Vous voyez qu'il n'y a rien de changé dans le monde. « Il est à nous de justifier la confiance et la bienveillance dont la Compagnie vient de nous donner cette belle preuve. »
Le charbon était transporté d'Alexandrie à Suez, ce qui, à ce moment-là  a permis de diminuer considérablement le prix du charbon en mer Rouge.
Eh bien, peu de temps après, on s'est occupé du canal de Suez. Je comprends, je pense que vous comprendrez, ce qui s'est passé dans l'esprit de mon grand-père. Bien avant le canal de Suez, mon grand-père est devenu, en novembre 1865, le fournisseur de la Maison Borel, qui était l'un des constructeurs du canal de Suez, et mon grand-père, à partir de 1865, a fourni tout le charbon qui a été utilisé par les appareils des constructeurs du canal de Suez, et plus particulièrement par la Maison Borel Lavalley, qui à elle toute seule a creusé 56 millions 800 mille mètres cubes de terre sur les 74 millions de mètres cubes de terre qui ont été remués. Les deux premiers chargements sont venus à Port-Saïd en 1865 et en 1867. La Maison Worms est devenue fournisseur de la Compagnie du canal de Suez. A ce moment-là, le Canal n'existait pas, mais la Compagnie avait des appareils pour travailler et c'est la Maison Worms qui les alimentait.
Le 15 août 1865, plus de quatre ans avant l'inauguration du Canal, on a ouvert à Ismailia l'écluse maintenant en communication le canal maritime et le Lac Timsah, pour permettre aux chalands d'aller directement de Port-Saïd à Suez, et c'est la Maison Worms qui est allée par cette nouvelle voie, qui a fourni le charbon qui était ensuite utilisé à Suez.
C'est dans ces conditions que les Messageries maritimes, ou plutôt la Maison Worms, obtint en 1867 un contrat de 6.000 tonnes à expédier à Port-Saïd pour être transférées par cette voie directe à Suez, pour la Compagnie des Messageries impériales.
Et nous en venons maintenant à l'ouverture du canal de Suez.
Or, c'est le 17 juin 1869 que mon grand-père écrivait une lettre officielle à la Compagnie du canal de Suez pour lui annoncer qu'il avait pris la décision d'ouvrir une succursale à Port-Saïd. Voilà pourquoi vous êtes ici aujourd'hui.
Il a envoyé ici un de ses plus fidèles collaborateurs, Edmond Rosseeuw. Eh bien, Edmond Rosseeuw n'était pas très optimiste. C'était très bien, c'était magnifique, mais au début cela n'allait pas tout seul. Il y avait des gens qui n'avaient pas confiance et j'ai trouvé dans des extraits de lettres, des phrases extrêmement pessimistes de M. Rosseeuw, qui se croyait perdu, et qui se disait que cela allait être un échec avec la Compagnie du canal de Suez.
II écrivait :
« Je ne sais absolument rien de ce qu'on peut faire ici, mais ma première impression n'est pas bonne... Je crains beaucoup... Je m'inquiète et n'ai pas confiance... et je vous le dis très net : Agissez prudemment. Je ferai tout ce que vous me direz de faire, mais je n'ai pas confiance. »
Il disait : « La lutte me paraît impossible » et des phrases comme cela, très pessimistes. Mais mon grand-père, lui, avait la foi.
On a ouvert le Canal le 17 novembre 1869. Ce jour-là on a vendu, alors qu'on croyait faire une affaire magnifique, 600 tonnes. On avait envoyé 6.000 tonnes et on a tout de suite vendu 600 tonnes et 2.300 tonnes seulement la première semaine, ce qui a amené notre directeur a écrire : « Nous n'entendons plus guère d'ordres. 2.500 francs de bénéfice et assez de charbon en mer pour être approvisionné pendant un an ». Il ajoutait : « le Canal est raté, bien raté, quoi qu'on en dise... » Le président de la Compagnie devait, d'après ses dires, avoir fait déjà 1.500.000 francs de recettes. « II y a ici un calme mort, pas un seul steamer ne se présente pour transiter le canal et la Compagnie commence à s'émouvoir. »
Voilà l'histoire du canal de Suez. Je ne sais pas si la Compagnie du Canal la raconte ainsi.
Mais comme je vous l'ai dit, mon grand-père avait la foi, et il répandait à son directeur :
« ... J'ai aussi besoin de relever votre courage... Vous semblez désespérer de l'avenir du Canal... Je ne pense pas comme vous... Ce sera le grand passage de l'Inde... chaque jour vous verrez arriver de nouveaux navires. » Et puis le 28 décembre :
« Votre lettre semble avoir été écrite sous le [coup] d'un profond découragement et j'espère vous voir bientôt prendre courage... Vous me dîtes que notre concurrent a Lavalley qui l'appuie, vous, vous avez le nom Worms. » Eh bien, un peu plus tard la Maison Worms fournissait déjà les 3/4 ou 75% des navires qui ont transité le Canal, en 1881 elle a charbonné 1.109 navires, 1.324 en 1886, 1.548 en 1891, soit un total de 497.000 tonnes de charbon sur 1.000.000 de tonnes, c'est-à-dire 50% du total. Puis la progression est restée la même pendant plusieurs années pour arriver au chiffre record de 574.000 tonnes en 1913, qui a été l'année record au cours de laquelle 1.145 navires ont été charbonnés sur un total de 5.079, contre neuf autres Maisons concurrentes qui se sont partagées le reste.
Le meilleur mois fut de 52.369 tonnes en mars.
Mais ceci est du passé. La Maison Worms continuait dans son développement, c'est elle qui a apporté son appui au début aux affaires pétrolières, en venant avant les représentants de la Shell et de l'Asiatic Petroleum Co.
En 1891, on a voulu faire passer par le Canal des bateaux-citernes. Ceci a été le début des relations de la Maison Worms et  la Shell, puis la Maison Worms est devenue le représentant de l'Asiatic Petroleum Co, ceci jusqu'en 1925.
Donc la Maison Worms a évolué. A ce moment-là, la vente du charbon commençait déjà à diminuer. Au cours des vingt dernières années, alors que la situation change, la Maison Worms a évolué parce qu'elle a été obligée de chercher d'autres activités et de se porter sur les affaires maritimes, sur le transport, les manutentions, sur le département marchandises, ce que vous faîtes en ce moment. Avant la guerre de 1939, déjà, les consignations étaient considérables et se sont montées à 97 unités par mois, pour passer en [1946] au chiffre record de 220.
Ayant fini avec le passé, puisque je parle de reconstruction de la Maison Worms, je vous dirai qu'il faut maintenant que nous cherchions d'autres activités, que nous développions nos activités existantes pour compenser les activités disparues, qui sont le charbon. Vous avez tous les éléments nécessaires. Je vous ai dit ce qu'était la Maison Worms, je crois pouvoir maintenant affirmer que grâce à ses activités multiples, la Maison Worms sera en mesure de développer son travail en Égypte car son plus grand désir c'est que ce plus beau fleuron de
sa couronne reste à l'avenir un des plus beaux fleurons de cette couronne.
Il n'y a absolument aucune limite à notre expansion, notre expansion dans le monde et plus particulièrement en Égypte. Vous avez, comme disait mon grand-père à son agent, vous avez la Maison Worms avec vous et je tiens à affirmer, à dire, que les liens entre notre pays et l'Égypte datent maintenant de 97 ans. Comme je vous l'ai dit d'ailleurs, je vous dirai en ce qui me concerne que ces liens se développeront encore plus dans l'avenir, sous forme de fournitures de charbon, et autres formes d'activités maritimes, pour le plus grand bien de nos deux pays.
Messieurs et Mesdames aussi, je m'excuse, Mesdames et Messieurs, je m'excuse de vous avoir retenus aussi longtemps, trop longtemps probablement - moi je commence à avoir soif - je voudrais finir par vous exprimer ma reconnaissance et la reconnaissance de la Maison Worms pour votre fidélité, votre dévouement, pour le travail que vous avez tous fourni et que tous vos prédécesseurs ont fourni, car je suis heureux de voir ici, non seulement de vieux serviteurs, mais les fils et les petits-fils des vieux serviteurs de la Maison, des vieux amis de la Maison et je voudrai associer à ces sentiments de reconnaissance vis-à-vis de vous et vis-à-vis de ces vieilles familles amies le nom de la famille Ahmed Atallah, et de la famille El Sayad. Je voudrais également dire un mot de M. Kirchgesner, puisque je crois que son père était ici en même temps que moi, il y a 39 ans. Je ne voudrais pas oublier M. Barbich, dont j'ai vu, je crois, un parent à Suez et je crois qu'il y en a un parmi nous aujourd'hui, et un vieux collaborateur qui était un vieux célibataire, que certains d'entre vous ont probablement connu, il s'appelait Golubzow.
Après vous avoir exprimé ma reconnaissance, je voudrais vous demander de continuer comme vous l'avez toujours fait - ce n'est pas nouveau - je voudrais vous demander simplement de continuer à rester unis, à maintenir cet esprit d'équipe qui existe dans tous les services de la Maison Worms, de garder cet esprit d'équipe qui nous a toujours animés et qui, je pense pouvoir le dire, fait la force de la Maison Worms. Je vous demande donc de rester unis autour de votre chef, auquel je voudrais rendre hommage particulièrement : il s'agit de M. Acfield. M. Acfield a eu au cours des 10 dernières années beaucoup de mal, beaucoup de travail, et s'en est tiré admirablement. Je veux lui rendre hommage, en vous demandant de lui faire confiance à lui, comme la Maison Worms lui a fait confiance, et à travailler avec lui et ses fidèles collaborateurs qui nous entourent ici, pour notre bien à tous, c'est-à-dire pour votre bien à vous et pour la prospérité de la Maison Worms que je dirige, en exprimant l'espoir qu'un jour, dans 99 ans, mes successeurs célébreront avec vos successeurs, vos enfants ou petits-enfants, le deuxième centenaire de la Maison Worms.

 

 

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