1977.06.02-03.De Robert Dubost.A Francis Ley.Témoignage
NB : La copie-image de ce document, établi sur traitement de texte, n'a pas été conservée.
Propos recueillis auprès de M. Dubost
Au moment de la guerre, M. Dubost était fondé de pouvoir de la Banque franco-chinoise à Lyon, sa ville natale, où il avait un cercle de relations bien établi. Lieutenant d'artillerie lors de la mobilisation, il retrouvait comme chef de batterie un ami, M. Vignet, qui connaissait bien les associés et la direction de MM. Worms & Cie. Ce dernier lui fit rencontrer MM. Le Roy Ladurie, Meynial et Guérin de la Maison Worms quand celle-ci, après l'occupation par les Allemands de la moitié nord de la France, désirait créer vers la fin de 1940 une agence de ses Services bancaires à Lyon, en zone libre. M. Dubost se dégagea à l'amiable de la Banque franco-chinoise et entra, en mars 1941, aux Services bancaires de Worms & Cie en vue d'ouvrir l'agence de Lyon. Mais les événements de l'époque incitèrent les associés à préférer la place de Marseille (où la Maison Worms était déjà présente) à celle de Lyon et M. Dubost, en compagnie de M. Guérin, alla développer la nouvelle agence bancaire de Marseille. Cependant, dès le mois de juin 1941, il était chargé de créer, d'abord seul puis avec M. Guérin, une autre agence de repli des Services bancaires, au-delà de la Méditerranée, à Alger. Après des débuts modestes, cette nouvelle agence prospéra et atteignit un bon niveau d'affaires. Le débarquement américain, en novembre 1942, eut pour conséquence la réquisition partielle des locaux de l'agence et l'interruption des relations avec la métropole. L'agence livrée à elle-même continua de s'agrandir et beaucoup prospérer.
En mars 1943, M. Dubost fut à nouveau mobilisé en vue de la préparation du corps expéditionnaire destiné à libérer la France. Versé, en juillet 1943, au 65ème Régiment d'artillerie à Blida, M. Dubost put cependant continuer à assumer la direction de l'agence en même temps que ses occupations militaires et ceci dans le cadre de l'état-major général de l'armée. Après les opérations militaires qui libérèrent le territoire national, M. Dubost se retrouva à Paris avec l'état-major dont il faisait partie et put ainsi, en septembre 1944, reprendre contact avec le siège social de la Maison Worms.
MM. Worms et Le Roy Ladurie se trouvaient déjà en détention provisoire et M. Barnaud allait l'être incessamment.
Pendant son séjour en Algérie, M. Dubost ne s'était pas seulement fait de très bonnes relations qui avaient des prolongements jusqu'à Paris et devaient jouer un rôle dans le re-contact des 2 France, il avait aussi dressé un plan de politique africaine d'implantations nouvelles. Les centres qui paraissaient être les plus intéressants pour les affaires étaient Casablanca, Alger, Tunis, Le Caire Djibouti, Madagascar, Le Cap, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, Dakar (9 points de sortie du continent). Or, par les Services maritimes, Worms & Cie touchait déjà les villes de Casablanca, Alger, Tunis, Sfax et l'Égypte et par la Nochap Madagascar et Djibouti. L'expérience prouvait que dans ces divers points Worms & Cie pouvait, en moyenne, drainer 5% environ du trafic vers ses comptoirs (maritimes et bancaires). Cette constatation, transposée sur le plan bancaire, poussait à ouvrir des agences de banque non seulement à Alger, mais à Casablanca, Tunis, Le Caire et Madagascar. Installée dans ces points de sortie de marchandises africaines, la Maison Worms eut contrôlé le continent sur le plan économique.
A Alger, M. Guérin, rentré à Paris, était remplacé par M. Lelièvre. C'est alors que M. Dubost partit pour Casablanca pour y fonder une agence bancaire qui ouvrit ses portes le 1er juillet 1946. M. Dubost conserva la direction de l'ensemble des agences d'Afrique du Nord alors que M. Guérin prenait en 1948 la direction Générale de la BIAN (présente aussi à Casablanca et Tunis).
La création de l'agence de Casablanca se révéla vite une réussite et d'importantes affaires purent y être traitées. Des vues sur Dakar et Abidjan amenèrent MM. Dubost et de Corgnol à y faire un voyage d'information. Mais les mouvements nationalistes africains qui commençaient à se percevoir mirent un frein à des projets d'implantations nouvelles.
Le développement de la Maison à Paris décida M. Meynial, en 1955, à faire revenir M. Dubost au siège de Paris. C'est ainsi qu'à l'automne de 1955 la nouvelle structure de la direction générale des Services bancaires se présentait de la façon suivante :
- M. Guy Brocard, directeur général
- M. Robert Dubost, directeur général adjoint (banque commerciale)
- M. Pierre Édouard Coquelin, directeur général adjoint (participations).
M. Dubost se souvient des principales participations dont M. Meynial parlait à l'époque (1940-1942) ; il s'agissait essentiellement de la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur, de la Société française de transports pétroliers - SFTP, des Établissements Japy Frères et des Établissements Fournier-Ferrier.
Au sujet de l'Afrique du Nord. M. Dubost donne les précisions suivantes :
L'agence d'Alger débuta avec des ressources qui se résumaient à une dotation de 20 millions provenant des Services bancaires - Paris et à un compte courant d'Air France également de 20 millions. Revenu à Alger après la libération de Paris, M. Dubost dirigea seul cette agence jusqu'en juin 1946, date à laquelle il alla fonder celle de Casablanca. Il assura son remplacement à Alger en faisant venir M. Lelièvre qui jusque-là se trouvait à la Banque franco-chinoise à Lyon, mais il assuma dès lors la direction des agences d'Afrique du Nord. Une dotation fut transférée d'Alger à Casablanca.
A Casablanca, l'agence prospéra rapidement et son activité s'étendit à toutes les branches de l'industrie et du commerce du Maroc et aussi aux personnes physiques. M. Marot, témoin de cette période, l'a fort bien décrite : « Tout le monde affluait alors au Maroc et, s'il était facile d'ouvrir des comptes, il était beaucoup plus difficile de trier le bon grain de l'ivraie. L'école de M. Dubost fut celle du discernement et de la mesure. Elle fut aussi celle de l'imagination : notre agence de Casablanca s'efforçait d'apporter au Maroc des techniques alors nouvelles dans ce pays. Elle monta les premiers crédits consortiaux ; elle réalisa, grâce au concours d'une société créée en France par M. Jacques de Fouchier, l'UFEFE (Union financière d'entreprises françaises et étrangères), d'importantes opérations d'importation de matières premières remboursées par des exportations de produits transformés ; elle mit sur pied un service documentaire de qualité, alors que ses concurrents, à l'époque, étaient moins bien armés ; elle prit, avec des groupes amis, et à travers des sociétés annexes, des participations dans des affaires industrielles diverses. Elle acquit, de la sorte, une réputation qui favorisa ses démarches et lui attira la clientèle des sociétés les plus importantes et l'amitié des dirigeants de ces affaires. »
En octobre 1955, M. Dubost fut rappelé à Paris, au siège, par MM. Worms et Meynial afin de prendre le poste de directeur général adjoint des Services bancaires (banque commerciale) alors que M. Brocard en était le directeur général et M. Coquelin le directeur général adjoint (participations). A ce moment-là, les trois agences de Marseille, Alger et Casablanca représentaient à elles seules 1/3 à 40% des dépôts de l'ensemble des Services bancaires de la Maison. C'est cette réussite qui incita M. Dubost à persévérer dans une politique de création d'agences dans les grands centres régionaux de France afin d'accroître la collecte des dépôts et le nombre des affaires. C'est ainsi que l'augmentation des dépôts de la Banque, au sein d'une société qui a, à Paris, de gros engagements surtout en immobilisations et en portefeuille, est non seulement nécessaire mais obligatoire. Une bonne relation de M. Dubost, M. Bouvier, président de la Banque de l'union lyonnaise (BUL) se montra disposé à céder à la Maison Worms la grande majorité des titres de son affaire. Fin septembre 1957, MM. Worms & Cie rachetèrent la BUL et, en décembre 1958, la mirent en liquidation amiable pour en faire une agence dès le 1er janvier 1959. Ce fut l'agence de Lyon. Dans le même esprit, la Maison acquit à Lille la banque de M. Coppenolle en février 1962, qui devint la "Banque Camille Coppenolle SA" en attendant d'être l'agence de Lille en juin 1965.
L'apport fusion d'octobre 1967 de la BIFC (ex-BIAN) valut à la Maison les agences de Nice. Montpellier, Toulouse et Le Havre, en même temps que le contrôle d'une filiale, la Société méditerranéenne de banque (SMB) qui possédait deux agences en Corse à Ajaccio et Bastia et deux bureaux périodiques à Propiano et Ghisonaccia. De nouvelles implantations furent progressivement étendues à d'autres régions de la métropole : ainsi virent le jour les agences de Grenoble, début décembre 1970, de Saint-Étienne, en avril 1971, de Rouen en novembre 1971 et de Nantes en décembre de la même année. Puis ce fut le tour des agences de Bordeaux, en novembre 1972, et Roubaix, en janvier 1973, à être créées. Enfin, celles d'Orléans, en juillet 1976, et Tourcoing en novembre 1976 également. Les agences de la SMB devinrent elles aussi des agences Worms en décembre 1970 et sur plusieurs places importantes des bureaux de quartier furent ouverts comme à Lyon-Lafayette en mars 1969, Nice en mars 1972, Montpellier en octobre 1974, à Rouen en décembre 1975 et Grenoble à la même date.
Avant d'ouvrir le capital de la Banque Worms, devenue une SA à des partenaires étrangers en 1967, Messieurs Meynial et Dubost avaient fait prendre des participations dans des banques étrangères afin d'assurer à la Maison une présence en Belgique au travers de la Banque Kreglinger à Anvers et en Hollande par la Nederlands-Franse Bank à Rotterdam et Amsterdam. La Maison s'est d'ailleurs retirée depuis de la Banque Kreglinger et de la Nederlands-Franse Bank.
Actuellement sont à l'étude les créations éventuelles d'agence sur les places de Reims et de Dijon. Parmi les projets plus lointains, il y a l'étude des possibilités offertes par des villes de l'Est comme Strasbourg ou Mulhouse et Metz ou Nancy.
Pour revenir au sort réservé à nos agences d'Afrique du Nord, M. Dubost rappelle que l'agence d'Alger fut transformée en juin 1962 en société de droit français sous le nom de "Worms & Cie Algérie" puis en "Banque industrielle pour l'Algérie et la Méditerranée - BIAM" en décembre 1962, après l'apport de la BIAN de ses agences algériennes. Finalement, son fonds de commerce fut repris autoritairement, en mai 1968, par une banque algérienne nationalisée.
Quant à l'agence de Casablanca, elle fut transformée en société de droit marocain en 1960, sous la raison sociale "Worms & Cie Maroc" ; cette dernière absorba successivement le Crédit marocain, l'agence locale de la BIAN en 1963, la Banque foncière du Maroc (filiale du Crédit du Nord) et la Banque ottomane du Maroc en 1966 et se concentra avec la Banque de Paris et des Pays-Bas - Maroc en 1974 pour donner naissance à la Société marocaine de dépôt et crédit - SMDC dont la marocanisation s'est terminée, selon la loi marocaine, en mai 1975.
Cette évolution des agences d'Afrique du Nord ne doit pas faire oublier l'effort d'implantation dans la région parisienne de nouveaux guichets destinés à la récolte des fonds. C'est ainsi que des agences et bureaux ont été ouverts à Rungis en mars 1969, à La Muette en août 1971, à Montparnasse en mars 1972, à Vélizy en juillet 1972 et à Puteaux en avril 1977.
Rappelons pour mémoire que la moitié des dépôts français se trouvent concentrés à Paris.
En dernière observation, M. Dubost indique qu'il a toujours désiré une implantation en Suisse. Dans ce but, des contacts eurent lieu à Bâle, Zurich et Genève. Finalement, M. Meynial se décida pour la formule de la "Banque Worms et Associés S.A. - Genève" qui fut ouverte sur cette place avec l'aide du banquier genevois Bordier en octobre 1969.
2 et 3 juin 1977