1940.11.11.De Rudy Cantel - Paris-Soir.Article

NB : Cet article provient d'un recueil de coupures de presse datées du 17 octobre 1940 au 21 décembre 1941, qui est classé au 17 octobre 1940.

Paris Soir
11 novembre 1940

Supprimons les Trusts
Le Comité d'organisation du charbon vient-il d'être créé pour ruiner les détaillants ?
par Rudy Cantel

La loi du 16 août avait décidé la création de comités d'organisation professionnelle, chargés de défendre les intérêts corporatifs dans l'esprit de la France nouvelle. Il y avait enfin quelque chose de changé. Des Comités placés à la tête des diverses corporations devaient défendre les intérêts du patrimoine social et national.
C'était trop beau. Et les trusts, qui risquaient de disparaître ont tout de suite réagi. Peu leur importe le sort de la France nouvelle, peu leur importe la ruine des petits, pourvu que les millions continuent à s'entasser grâce à leurs combinaisons souvent très adroites.
Les trusts ont tourné la loi. Et si nous n'y mettons pas bon ordre, nous allons retomber dans les mêmes errements qui nous ont conduits à la défaite et à la désagrégation sociale.
L'exemple le plus criant de cette réaction des trusts est fourni par la création du "Comité d'organisation du charbon" qui semble un défi jeté à la face de tous les honnêtes gens soucieux de l'intérêt général avant leurs intérêts particuliers.
La corporation charbonnière se divise en deux branches : l'importation et la distribution. Divisions que l'on retrouve dans la composition du comité.
Or, ce comité d'organisation représente presqu'exclusivement l'importation maritime. C'est-à-dire les trusts.
Quel sera le rôle des représentants ? Protéger les trusts puissants qui ont accaparé et ruiné tant de petites entrepprises. Est-ce cela qu'a voulu le Maréchal Pétain ? Certes non. Alors qui est le responsable ? Car il y en a un. Celui qui, méprisant l'esprit de la loi protège les fortunes colossales des trusts et lèse volontairement les petits, avec une apparence de légalité, voilà le responsable.
Par quelles combinaisons est-on arrivé à ce résultat ? C'est ce que nous nous proposons de préciser.
Le Comité d'organisation du charbon comprend :
Section de l'importation - Le Chef en est M. Robert Fossorier, du trust la Société commerciale d'affrètement et de commission, maire de Deauville, propriétaire d'au moins quatre maisons de cnarbon à Paris et de très nombreuses en province.
Et voici les autres membres :
M. Pol, administrateur directeur général du Trust Chatel et Dollfus. Les trois derniers exercices de ce trust se chiffrent à 80% de la vente avec les Anglais. Propriétaire de grosses maisons comme Breton, les Chantiers de Paris, les Etablissements Dupuy à Âubervilliers, etc.
M. Albert Auberger, de la Société Rhin et Rhône, trust propriétaire par absorption de chantiers dans l'Est et le Sud-Est. Cette Société a d'ailleurs fondé le nouveau trust de la Compagnie générale charbonnière avec Chatel et Dollfus et les quatre fils Charvet,
M. Courtois, des Établissements Neuerburg, agent de charbonnage, grossiste intéressé dans de nombreuses affaires moins importantes que celles déjà citées.
Cette tpremière section de l'importation est donc exclusivement représentée par des importateurs, membres des trusts contrôlant tout le charbonnage.
Nous serions donc en droit de trouver maintenant au sein de cette section de véritables distributeurs. Quelle erreur ? Les importateurs-trusteurs n'ont pas voulu laisser pénétrer dans le Comité un seul homme susceptible de les battre en brèche.
M. Frange, du trust "Les fils Charvet" est chargé de cette section. Rappelons que la Société Charvet, grossiste et maison d'importation de produits exclusivement anglais, est en outre propriétaire par absorption de différentes autres entreprises (la Charbonnière d'Aubervilliers par exemple) et adhère au groupe qui a fondé la Compagnie générale charbonnière avec Rhin et Rhône et Chatel et Dolffus.
Un "comité spécial" a été adjoint à M. Frange. Allons-nous y trouver des distributeurs ? Pas du tout. Ce sont encore des membres des trusts importateurs qui ont été nommés :
M. Georges Schmidt est président de ce Comité. Or il est ex-administrateur délégué de la Société Delmas-Vieljeux-Graigola, ex-président du CCCA (Comptoir des charbons classés et agglomérés) ex-membre du trust des importateurs anglais sur les côtes de l'Ouest, englobant la moitié de la France pour la répartition et le maintien élevé des prix (l'un des plus gros trusts ruineurs des petites entreprises) ;
M. Truillé, ex-propriétaire de la Maison Toufflin, gardé par Blanzy-Ouest quand ce trust eut absorbé Toufflin.
M. Balland, administrateur des mines de Vicoigne-Noeux-Drocourt et d'autres mines de la production française, trust lui-même dans son fief du Sud-Est les charbons français du Nord.
M. Picard, de la Société Rhin et Rhône et de la Compagnie charbonnière Est et Nord ;
M. Thévenot enfin, charbonnier de Provins, le seul détaillant ayant un chantier dans tout ce comité.
En outre, la supervision du Comité serait assurée, dit-on, par M. Thibaut, polytechnicien du cabinet de M. Bel in.
Alors nous posons la question nettement : de qui se moquet-on ? S'agit-il de faire une France nouvelle ou de reprendre les anciennes combinaisons ? De fortifier les trusts et de leur donner une puissance légale ?
Le problème est net. Il y a en France 99 détaillants pour un grossiste (plus de 4.000 détaillants rien qu'à Paris). Au sein du Comité nouvellement nommé, 10 membres = un seul détaillant, 9 grossistes représentant des trusts.
On aboutit à ce paradoxe qu'on a chargé de cette organisation ceux qui ont le plus d'intérêt à absorber ce qu'ils sont chargés de défendre.
Ces hommes ont toujours été au service des monopoles que l'esprit du comité les oblige à combattre pour aboutir à une équitable répartition. Supprimer les trusts n'est pas un slogan, c'est l'expression de la volonté de tous les Français. C'est une nécessité nationale.

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