1938.11.05.De Hypolite Worms.Le Havre.Discours

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Paris, le 5 novembre 1938

Souffrez, Monsieur le Ministre [Anatole de Monzie], que tout de suite je dise l'honneur et la joie que vous nous avez faits en acceptant notre invitation. Vous avez bien voulu quitter Paris et abandonner, pendant une longue journée, la tâche quotidienne afin de venir visiter avec nous, et avec quelle hâte d'ailleurs, deux des navires de notre nouvelle société, montrant ainsi, une fois de plus, le bienveillant intérêt que vous portez aux efforts qui ont été et qui seront réalisés.
Mais votre présence a une autre cause, une cause lointaine et j'imagine qu'au contraire du Doge, vous devez trouver tout naturel d'être ici car, mon cher Ministre... « on revient toujours à ses premières amours ». Votre charge actuelle, en comprenant le souci de l'avitaillement du pays en combustibles liquides, vous conduit à celui que posent leurs transports. Et vous voilà revenu à la Marine marchande... et à votre point de départ !
II y a 26 ans que j'ai la joie de vous connaître. A cette époque, j'entrai, tout jeune encore, dans une de ces vieilles maisons d'armement dont, peu à peu, le nombre diminue. Au même moment, vous faisiez vos débuts dans les conseils du gouvernement puisque, si je me fie à ma mémoire, c'est en 1913 que vous devîntes titulaire, le premier titulaire, du sous-secrétariat d'État de la Marine marchande, qui venait d'être créé. Je me souviens, comme si elles étaient d'hier, des visites que je vous fis alors, dans cet hôtel vieillot du boulevard du Montparnasse, où le souffle de votre jeune intelligence, éprise de progrès, balayait les dossiers poussiéreux d'une direction... un peu bâtarde.
Certes, il ne vécut pas longtemps, ce nouveau sous-secrétariat d'État mais votre opiniâtreté qui l'avait créé le fera renaître en juillet 1917, à la suite d'un de ces discours dont votre éloquence a le secret, et par lequel, du haut de la tribune de la Chambre, vous aviez poussé un cri d'alerte : « point de chance de gagner la guerre sans une flotte commerciale intégralement exploitée et, par conséquent, dirigée par un chef... un seul ! ».
Sous votre pression, l'unité du commandement se fit et vous-mêmes fûtes ce chef unique. La guerre fut gagnée et ceux qui ont vécu cette époque, où chaque soir se faisait l'impressionnant examen du tonnage coulé depuis la veille, savent quelle part vous prîtes aux résultats.
Ce fut l'occasion pour moi de reprendre contact avec vous et la cordialité de nos rapports devait s'accroître comme leur fréquence ; c'est au "Comité des Cinq", je puis bien le dire que, vous voyant au travail avec cette complète indépendance d'esprit, qui constitue une des agréables particularités de votre caractère, avec cette facilité à chercher... et à trouver aux problèmes les plus compliqués, les solutions les plus simples, qui tiennent compte cependant de tous les facteurs avec cette élégance intellectuelle et morale qui vous porte à revendiquer vos responsabilités et souvent celles des autres, que sont nés, permettez l'expression, les sentiments d'affection qui ont subi, avec succès, la grande épreuve du temps.
Messieurs, je suis convaincu que si le ministre des Travaux publics est venu, avec tant d'empressement et si cordialement parmi nous, c'est que l'ancien sous-secrétariat d'État à la Marine marchande l'y a poussé !
Qu'il me soit permis d'exprimer les vifs regrets que nous cause l'absence de l'actuel ministre de la Marine marchande, Monsieur de Chappedelaine, retenu dans son département par la cession du Conseil général.
Et maintenant, je salue Monsieur le sénateur Roy, président de l'Office national des combustibles liquides. Aux remerciements que nous lui devons d'avoir bien voulu être des nôtres aujourd'hui, il est de simple équité de joindre l'expression de la gratitude qu'ont créé l'accueil, si favorable et si clairvoyant qu'il a fait au programme qui lui était soumis et l'aide puissante qu'il n'a pas marchandée à sa réalisation.
Je salue aussi Monsieur Verlomme, préfet de la Seine-Inférieure et puisqu'il est relativement nouveau venu dans ce splendide département, commerçant, industriel mais maritime au premier chef par l'importance de ses ports, je prends la liberté de lui dire qu'il y trouvera beaucoup de bonnes volontés, beaucoup de labeurs aussi et ceci atténuera, je le souhaite, les regrets qu'il peut avoir de Paris et du ministère de l'Intérieur, où il a laissé le souvenir d'un administrateur de haute classe. J'ai le ferme espoir que la Société française de transports pétroliers ne lui causera, volontairement ou non, aucun souci.
Messieurs, je suis bien certain de parfaitement interpréter votre pensée en disant combien il nous eût été agréable de voir à cette table Monsieur Léon Meyer, ancien ministre de la Marine marchande aussi, député et Maire du Havre. Une cérémonie l'a empêché d'être des nôtres et mes regrets personnels sont doublés du dépit qu'une poste défaillante l'ait empêché de recevoir, à l'heure qu'il eût fallu, l'invitation qu'au nom du conseil d'administration de la société, je lui avais adressée. Il ne s'étonnera pas que nous nous félicitions de voir nos navires immatriculés dans ce port dont il dirige, depuis si longtemps et si heureusement, les destinées ; de les voir, si j'ose dire, destinés à utiliser incessamment cette porte océane dont il est l'avisé, le vigilant et le puissant gardien.
Nous le remercions chaleureusement d'avoir bien voulu se faire représenter ici par un de ses éminents adjoints, Monsieur Arnaud Tizon, conseiller général du département de la Seine-Inférieure et, en même temps, un de nos collègues puisque, lui aussi, est armateur.
Il est une autre absence qui nous peine : celle de Monsieur le contrôleur général Jacomet, car c'eût été avec une joie bien vive que nous lui aurions dit comment a été appréciée la claire vision qu'il a eue de l'importance du service que pouvait rendre au pays la très prompte réalisation du plan conçu.
Mais, en revanche, j'ai le grand plaisir de pouvoir dire à Monsieur Pineau, directeur de l'Office national des combustibles liquides, l'impression qu'a laissée à tous l'énergie avisée avec laquelle il a poussé et facilité les efforts de chacun, en vue de l'aboutissement rapide. Certes, ce haut fonctionnaire a la réputation d'un grand commis de l'État : dans l'oeuvre qui vient d'être accomplie, il a donné une preuve nouvelle que la renommée avait raison. Nous sommes certainement tous d'accord pour reconnaître que si, le 29 septembre, date critique, la France possédait quelque 75.000 tonnes nouvelles de bateaux-citernes, c'est à la volonté agissante de Monsieur Pineau et à ses efforts fructueux qu'elle le doit.
Je n'aurais garde d'oublier de souligner ce que notre société doit à Monsieur Bourgier, directeur du Contrôle financier et des participations publiques, ainsi qu'à ses adjoints, Messieurs de Wailly et Zaffreya.
Certes, et on ne saurait s'en étonner, il a fallu procéder à un examen très approfondi du projet ; il a fallu que toutes précautions fussent prises en vue de la défense des intérêts de l'État mais, cette satisfaction normale donnée et les justes apaisements fournis, la Société française de transports pétroliers a trouvé, en la personne de Monsieur Bourgier et de ses collaborateurs, des hommes épris du vif désir de parer aux besoins du pays, mettant à le satisfaire leur meilleure bonne volonté.
Et je suis sûr d'être en communion de pensées avec vous tous, Messieurs, pour adresser à Monsieur Bourgier nos bien vives félicitations pour la dignité de grand officier de la Légion d'honneur à laquelle il vient d'être élevé, en récompense de son admirable conduite pendant la guerre.
C'est un bonheur inattendu mais bien apprécié qui m'échoit de pouvoir, certainement l'un des premiers, le féliciter publiquement.
Et voici Monsieur Jean Marie, directeur de la flotte de commerce au ministère de la Marine marchande, vieille connaissance de l'armement et singulièrement de moi-même puisque, depuis des années, il était le collaborateur direct de Monsieur Haarbleicher.
Lui dirai-je la joie que nous avons éprouvée en le voyant assumer cette lourde charge à laquelle l'appellent maintes brillantes qualités ? Dans l'établissement de notre oeuvre, nous l'avons trouvé toujours le même, c'est-à-dire au plus haut point compréhensif de l'intérêt général, d'abord, et puis, ensuite, la bienveillance même.
Monsieur le commissaire général Douillard est le bienvenu parmi nous. Il représente un ministère avec lequel la Maison Worms a travaillé d'étroite manière depuis bien longtemps. Ce n'est pas sans émotion, en effet, ni sans fierté que je pense que c'est mon grand-père qui ravitailla en charbons les deux flottes françaises qui, pendant la guerre de Crimée, tenaient la mer : l'une en Baltique, l'autre en Mer noire.
Au nom de la Société française de transports pétroliers, je viens vous dire combien nous nous estimons heureux d'avoir à compter sur votre précieuse collaboration.
Pour terminer, il est équitable de souligner que, sans Monsieur Deroy, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, rien ne serait encore fait. A lui doit aller tout particulièrement notre gratitude car si la société nouvelle a pu prendre son essor tout de suite, sans perdre de temps, Monsieur Deroy y est pour beaucoup, qui a permis par sa largesse de vues, le prompt financement de l'opération.
Je salue enfin et je remercie les personnalités havraises qui ont bien voulu venir au devant de nous et nous accompagner dans notre visite de ce jour :

  • Monsieur le sous-préfet,
  • Monsieur Hermann du Pasquier, président du conseil d'administration du Port autonome,
  • Monsieur Godet, vice-président de la Chambre de commerce qui remplace Monsieur Raverat, malheureusement retenu pour raisons de santé,
  • Monsieur [...], directeur des Douanes,
  • Monsieur l'administrateur général George, directeur de l'Inscription maritime de l'arrondissement du Havre,
  • Monsieur Despujols, ingénieur en chef, directeur du Port autonome.

Messieurs, ces agréables devoirs remplis, il ne me reste pas grand chose à vous dire.
Voici constituée la Société française de transports pétroliers. La voici dotée de cinq navires tout neufs et c'est déjà 75.000 tonnes d'accroissement pour la flotte pétrolière française.
Grâce à l'aide et au précieux concours qu'elle a trouvés partout, la Maison Worms a conscience d'avoir accompli la mission que le gouvernement lui avait confiée.
J'ai le ferme espoir qu'avec les mêmes concours, le conseil d'administration de la Société française de transports pétroliers et elle-même mèneront à bien la seconde tâche, de plus longue haleine, qui est l'exploitation rationnelle et intensive des unités acquises.
Si les résultats répondent bien aux efforts qui vont être prodigués sans compter, il sera sans aucun doute possible de parfaire l'oeuvre entreprise par une augmentation du tonnage de la flotte et c'est de cette façon que, peu à peu, le pays arrivera à diminuer le lourd tribut qu'il paie au pavillon étranger et qu'il aura surtout de moins en moins besoin de recourir aux tonnages alliés ou neutres pour assurer, en cas de conflit, les besoins les plus impérieux de la Défense nationale.

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